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jeudi 5 juin 2014

Est-il encore permis de critiquer Royal de Luxe ?

Est-il encore permis de critiquer Royal de Luxe ?



Nous, ça ne nous viendra jamais à l'idée, bien entendu.



Mais mettez-vous à la place d'un prof de français qui voudrait organiser pour ses élèves un débat argumentatif sur le thème des spectacles de Royal de luxe à partir de deux articles de presse donnant des points de vue diversifiés.



Devinez son désarroi : depuis que la célèbre troupe de théâtre de rue est arrivée en pays nantais il y a près de 30 ans, on n'a toujours lu dans la presse locale que des articles tous semblables dans la louange la plus enthousiaste et jamais l'ombre d'une réticence, de la moindre réserve, pas même en bas de page dans un courrier des lecteurs.



Quand on prétend que les Gaulois sont un peuple râleur, et que les Nantais cultivaient jadis une réputation de frondeurs anarchos-situationnistes !



Et puis devinez l'embarras d'un politologue local qui voudrait expliquer la supériorité de la démocratie libérale sur le totalitarisme, et à qui l'on opposerait l'unaninisme de fer qui entoure certains dispositifs médiatiques subventionnés, comme Royal !



À ces mauvaises langues, nous pouvons dire qu'après de très minutieuses recherches portant sur trois décennies, nous avons enfin retrouvé un article, un seul, exprimant un regard critique sur notre glorieuse troupe nationale de marionnettes géantes.



Un seul article, paru discrètement en plein été il y a quatre ans, sous le titre « Du Carnaval à Royal de Luxe », dans la revue Place publique, n°22 de juillet-août 2010, sous la signature de Marc Grangiens, documentariste nantais qui a enseigné les métiers du cinéma et de la télévision.

Et que dit cet iconoclaste observateur (encore un jaloux) ? Extraits choisis.



« (…) Le régime culturel auquel nous sommes conviés s'est emparé de la rue, l'a investie pour en faire une de ses scènes, réjouissante, divertissante et spectaculaire. Son mode « culturel » fonctionne sur un idéal de rassemblement et un modèle consensualiste, non conflictuel (…). »

« (…) Mais existe aussi le regret de l'impertinence ébouriffante et jubilatoire de La Véritable Histoire de France, de Cargo 92 ou Des petits contes nègres, titre provisoire. Peut-être parce que je ressens trop la répétition, la posture consumériste qui devient aussi la mienne, et, devant cette nouvelle liturgie spectaculaire, une aseptisation culturelle de la fête, soluble dans la culture, où la vie n'a pas de prise. »

« (…) Ou/et s'agit-il d'un de ces objets de ce qu'on appelle la « culture mainstream », ce qui peut être connoté positivement, au sens de « culture pour tous » ou plus négativement, au sens de « culture hégémonique qui doit plaire à tout le monde, dans une uniformisation globale du goût (13) » 
(Note 13 : Frédéric Martel, Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde, Paris, Flammarion, 2010).

« Le philosophe Alain Brossat interroge, dans des termes qui empruntent, dit-il, à Michel Foucault, cette dilatation « sans limite » de la sphère culturelle qui occupe nos espace et notre temps collectifs. »

« (…) Il voit dans la « suprématie contemporaine » du régime culturel (…) « comme un mode organisateur général de la vie en commun », qui prend le relais des dispositifs politiques désactivés et relègue dans un rôle subsidiaire ce qui est au cœur de la vie politique : la délibération, la conflictualité des positions, le heurt des opinions et leur agissement dans l'espace public. » (…) « Elle agrège sans fin » dans un déni de la division, selon le principe « de l'inclusion, de l'indifférenciation pour rendre compatibles et équivalentes toutes les différences et hétérogénéités », toutes les altérités. »

« (…) Remarquons que les regroupements festifs qui voudraient échapper à sa tutelle – free parties, raves, ou même, moins transgressifs, les apéros géants restent sans réponse et butent sur un double discours qui promeut la jeunesse mais réprime l'expression de son état. La fête y devient un conformisme de masse comme si la réalité de la vie se jouait là, faute de se jouer dans la vie collective, l'engagement ou le travail ».

« (…) Alain Brossat (…) souligne fortement les effets de l'indifférenciation (…). Il souligne aussi dans ce rassemblement, ce qui peut paraître redoutable, « la coagulation des affects », la synchronisation des émotions, qui accompagnent la standardisaion des opinions (...) ».



Et il y en cinq pages comme cela ! Quel mal embouché, et qu'aurait-il dit ce pisse-vinaigre, après l'effet Le Pen aux dernières européennes ?



Quand on pense que le système Ayrault de Jean-Marc Ayrault a mis près de trente ans pour qu'on ne lise plus jamais de genre prose acide dans sa bonne ville, et qu'on la retrouve dans une revue savante qu'il a couvée ! 






1 commentaire:

  1. Mais on apprécie quand la grand-mère a pris en compte l'histoire et la sociologie de Nantes, en allant aux Dervallières, et puis en racontant au public des histoires relatives à la traite esclavagiste, aux comblements des cours de l'Erdre et de la Loire, etc...

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