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mercredi 30 avril 2014

10 décembre 2013 (suite) : A propos de la culture à Nantes

Culture à Nantes ? Eléments à verser au débat :

Pour leur "travaux personnels encadrés", des lycéens nantais m'ont posé trois questions écrites sur l'évolution de la culture à Nantes depuis 30 ans. J'ai improvisé ceci :

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> QUESTION 1- "La culture à Nantes a beaucoup évolué depuis une trentaine d'années. Qui sont, selon vous, les principaux acteurs de cette politique culturelle ?"

La logique aurait voulu qu'on commence par la question 2 (stratégies culturelles) avant de parler des personnes acteurs.

Mais allons-y.

On peut repérer comme acteurs de la vie culturelle nantaise : des 1/ institutions publiques (mairie et associations para-municipales, département, région, DRAC),

car la culture est d'abord à notre époque une affaire subventionnée par la rente fiscale locale décentralisée,

et donc des

2/ personnes physiques qui se sont trouvées à la tête de ces institutions locales (...).

Mais permettez-moi de désigner comme premier acteur culturel, chaque fois que Nantes s'est montrée novatrice,

3/le public, et l'ensemble de la population, qui "ont joué le jeu" plus qu'ailleurs, accompagnant avec gourmandise, ferveur et bonne volonté les propositions les plus originales, les plus festives et les plus exigeantes, et sans qui rien n'aurait été possible.

***

> QUESTION 2 - "Comment caractériseriez-vous les stratégies culturelles de la ville de Nantes ?"

La ville de Nantes a été particulièrement bon élève d'une stratégie qui n'est pas très originale et qui a touché toutes les villes et régions françaises à cette période, avec des fortunes diverses.

Il s'agissait, au moment du tournant de la désindustrialisation ordonnée par la Commission européenne pour favoriser les importations chinoises et la soumission consentie des démocraties européennes au déclin social, et donc en plein deuil de la mémoire de ces industries sacrifiées (à Nantes, notamment les chantiers navals et leur attachement sensible et sentimental à une culture portuaire et fluvio-maritime)

de donner une compensation idéologique aux villes sacrifiées, un "supplément d'âme" culturel en quelque sorte,

et de les insérer dans une stratégie de concurrence entre villes et territoires, pour désigner qui aurait la meilleure "image" médiatique.

Dans cette concurrence, Nantes s'est révélée particulièrement excellente durant les années 1990, avec la Folle journée, les parades de théâtre de rue de Royal de Luxe, mais surtout le festival Les Allumées (six ans, six nuits, six villes, de 1990 à 1995).

Si l'on veut chercher une césure, une rupture dans cette période dorée, il est permis de la placer lors de la dernière édition des Allumées, en octobre 1995, d'ailleurs annulée : Avant cette période, le festival Les Allumées se caractérise, très exceptionnellement en France et en Europe par une ferveur participative du public local, qui n'hésite à pas s'investir dans la création spontanée d'un "off" multiforme, dans les cafés, commerces, écoles, associations, espaces publics. Un phénomène social total qui n'a pas été encore suffisamment analysé à mon avis. Mais il est interrompu artificiellement par le donneur d'ordre politique.

Après 1995, cet élan est brisé net, et la magie ne reviendra jamais, ni avec les succédanés festivals "Trafics" et "Fin de siècle" et encore moins avec les biennales d'art contemporains "Estuaire", qui ont renoncé au spectacle vivant, et se dédient à une logique purement utilitariste de conquête de parts de marché touristique, qui d'ailleurs ne marche pas vraiment.

***

> QUESTION 3- "Quels sont, selon vous, ses principaux défauts ?"

Tout dépend du point de vue ! Celui des décideurs ? celui des artistes précarisés ? celui du public ? celui de l'intérêt général ? celui de l'éducation populaire ?

Cette stratégie ne comporte absolument aucun défaut, si l'on est du côté des puissants, si l'on s'accommode de la "gentrification" (quand les hautes classes moyennes privilégiées prennent la place territoriale et symbolique des milieux populaires, eux mêmes chassés de la ville vers la périphérie), s'il fallait marchandiser une bonne fois pour toute la culture, la plier aux impératifs consuméristes, éteindre les questionnements artistiques, notamment ceux qui ont été posés par le théâtre et la scène musicale indépendante après 1968, et domestiquer les artistes sous le poids des managers, pudiquement désignés comme "programmateurs", bras armés des baronnies locales.

C'est donc une "succes story" sans défaut que cette politique culturelle nantaise depuis 30 ans, même s'il est permis de déplorer la perte du sens, l'option préférentielle pour les effets gratuits et parfois complaisants ou sordides, l'homogénéité croissante du discours "culturel" avec celui du football professionnel, et l'abandon des grandes questions qui se posent à l'humain et au geste artistique depuis Lascaux : l'amour désintéressé, le désir nu, la poésie indomptée, la révolte, l'absolu, le partage, la création collective.

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